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Nos soeurs vivaient dans un autre monde. Nous n'avions pour guide à les deviner que notre seul
instinct et nos sens, exercés à la guerre, à la compétition acharnée. La précocité de l'attraction
fut fatale à quelques uns, qui avaient oublié que le regard serait le premier captif.
L'ancien Lycée Impérial fermait tous les jours ses portes sur cet univers exclusivement masculin,
exclusivement d'un autre âge, censé nous apprendre la vie. Je devais me contenter des deux courts
trajets m'y menant pour voler les imaginaires et leurs étoffes, leurs rires, leurs odeurs si
contraignantes au calme du bon élève.
Les printemps successifs devinrent étouffants.
Les imaginaires se révélèrent inaccessibles, femmes déjà, soucieuses d'une autre vie dans laquelle
je n'entrais pas. Le désir rarement réciproque fut une leçon amère, déclinée par les années.
Les adolescentes de mon adolescence étaient des combattantes. J'appris à leur
côté le chemin qu'il restait à parcourir pour l'égalité, la dignité, la mienne étant impossible
sans la leur. Mon indolence rejoignit leur ténacité solaire, la révolte commune cimentant tant
bien que mal notre angoisse qui se découvrait, rougeoyante d'avoir été tenue si longtemps étouffée.
L'enfance cessa de s'écouler. Nous vivions ! mais rien ne nous y avait préparé...
(to be continued)
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